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Passion Vénitienne
23 août 2009

Histoires d'amour de nos régions.

Bourgogne.

La musique et le chant du rouge-gorge.

Il a su les notes avant de savoir lire, Jean-Philippe Rameau. Pendant son baptême, à Dijon, en septembre 1683,  on dit qu'il scandait les notes d'une menotte ronde, mais déjà autoritaire. Orgue, clavecin, violon. Tous les instruments l'intéressent. Il n'aime que la musique. Ne croit qu'en la musique. Les notes chantent dans sa tête. Musicien. Il ne veut savoir rien d'autre, il n'entend rien d'autre, surpris qu'on lui dise bonjour, lui, le fils de l'organiste de l'église Saint-Etienne. Il ne sait répondre que d'un vague signe, malgré les recommandations de son père. "Il est bien silencieux votre garçon". Jean Rameau incline la tête. C'est vrai qu'il est bourru, un peu grognon et têtu en diable, Jean-Philippe. Ah! S'il pouvait répondre en musique, à tous les paroissiens qui le félicitent pour une interprétation nouvelle. "Il ira sur vos traces...." Le père est fier mais un peu inquiet pour son Jean-Philippe, douè mais muet. Il soupire. L'envoyer au loin, chez les Jésuites, ils le rendront plus sociable, il n'a aucun ami. Et puis, à la fin de ses études, parfaire son éducation musicale et voir d'autres gens. Tiens, en Italie par exemple, ces grands bavards, ils parlent aussi avec les mains, ça l'aidera à sortir un peu de lui-même. Et après il aura l'âge de prendre femme. Une jeune fille bien dotée, et pour lui faire plaisir, qui pianote.

Jean-Philippe fut docile, mais guère plus sociable chez les Jésuites. On n'avait rien à lui reprocher, assidu, travailleur, discret mais quel garçon ennuyeux! A 18 ans, il partit pour l'Italie. Que découvrit-il? Il compose motet, cantate. Il tranforme tout en musique: la rosée du matin, les nuages, le murmure de l'onde, les pas nonchalants des promeneurs. Les visages rieurs, les mains expressives des Italiens, leurs longues phrases chantantes lui inspirent des notes, pas des mots. "Et les Italiennes?" lui dit l'ami de son père, avec un regard complice. Jean-Philippe sursaute. Les Italiennes? Il hausse les épaules. On veut le marier, il l'a bien compris. Quelle horreur! être enchaîné à deux bras frais! Que de temps perdu pour la musique! Et il s'éclipse pour des années d'errance. Brouiller ses traces. Personne ne sait où il est, ce qu'il devient. Le sait-il lui même? Il fuit. Il compose. Il devient violoniste ambulant, organiste, joue de village en village, on le croit ici, il est par là.

Et il a 40 ans. Il vit pour et par la musique, il n'a toujours pas d'ami, encore moins de femme, même de passage. Il vit petitement. Et c'est ce jour-là qu'il entre par hasard dans une église. un peu las, un peu découragé. Il s'agenouille, il prie pour trouver enfin un mécène qui pourrait faire jouer ses opéras. Il est fatigué, il somnole. Et c'est le trille d'un oiseau qui le réveille. Un chant merveilleux qui s'élève sous les voûtes de pierre. Un oiseau accompagné au clavecin? Il a dû rêver. Il sursaute. Trop tard. Son regard est captivé, rivé sur l'oiseau. Lui qui ne sait caresser que des cordes, celles de son violon, ou les touches d'ivoire de son clavecin, il ouvre les doigts avec une envie irrépressible de caresser ses plumes douces.

Marie-Louise, fille d'une danseuse de ballet, est vive, elle ressemble à un rouge-gorge avec ses joues rosées, la rapidité de ses mouvements, sa robe grise et mordorée qui ondule, et son regard mobile qu'elle pose sur lui sans afféterie. Et elle chante, comme on respire. Sa présence éclaire la partie sombre de la nef d'où sa voix s'élance. Elle a dix-neuf ans, Marie-Louise Mangot, et elle sait ce qu'elle veut. Elle l'a su dès qu'elle l'a vu: "Voulez-vous m'accompagner au clavecin?" Il a dit oui sans se poser de question. Il ne pouvait faire autrement. Il lui dira encore oui quelques mois plus tard, et jusqu'à la fin de sa vie, avec la même bonheur, lui, l'homme qui n'entendait que la musique et n'avait jamais rencontré personne. Mais peut-on résister au chant du rouge-gorge? Ils eurent quatre enfants. Tous musiciens.

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